Attendue depuis 2016, l‘étude Mobi-kids vient donc d’être publiée – en toute discrétion – le 30 décembre 2021, dans la revue scientifique Environment International.  La lecture attentive que nous en avons faite nous amène à porter un avis critique, tant sur la méthodologie de l’étude elle-même que sur les divers conflits d’intérêts relevés avec l’opérateur Orange – et, par voie de conséquence, sur l’obtention de résultats ici controversés.

[1/2] Dans un premier temps, nous avons réalisé un résumé de cette étude dont les conséquences sont primordiales en termes de protection de la santé publique, notamment pour les enfants et les jeunes utilisateurs des téléphones portables.

[2/2] Dans ce second volet, nous nous appliquons à mettre en évidence les différents points qui, selon nous, jettent le trouble sur ce travail scientifique.

 

Le choix discutable d’une étude cas/témoin

 

Sur un plan strictement épidémiologique, le choix des auteurs de procéder par comparaison de groupes cas versus groupes témoins a pu, à lui seul, fausser l’intégralité de l’étude. En effet, on suppose que si le facteur (ici l’exposition aux téléphones mobiles) joue un rôle dans l’apparition de la maladie, alors la fréquence d’exposition pour les cas atteints sera plus élevée que chez les témoins. Ce que l’on mesure donc, c’est la différence d’exposition entre deux groupes, le groupe des sujets malades (les cas) et le groupe des sujets indemnes de tumeur du cerveau (le groupe témoin).

C’est d’ailleurs précisément ce que les auteurs rappellent dans leur propre publication en citant le Pr Mickael Kundi, un des scientifiques de Mobi-kids, à savoir :

« Les études cas-témoins ne sont pas bien adaptées pour identifier les effets de promotion des tumeurs (Kundi, 2010»

Ainsi, nous lisons dans la conclusion de son article publié en 2010 :

Pour les cancers du cerveau, les temps de latence sont de l’ordre de la décade, ce qui a amené à considérer l’impact de l’exposition sur une tumeur déjà existante. Nous allons voir que les mesures du risque comme les « odds ratios » ou les risques relatifs ne peuvent pas, dans ces circonstances, être interprétées comme des indicateurs de l’incidence d’un effet à long terme sur la population exposée.

De fait, pour ce type d’étude il aurait été préférable de réaliser une enquête exposés/non exposés. Certes, l’étude aurait alors été plus longue, mais elle serait aussi beaucoup plus fiable, permettant de mesurer directement et avec précision l’exposition aux facteurs.

Cependant – et c’est un point incontournable pour toute étude épidémiologique concernant notre exposition aux ondes -, il n’est quasiment plus possible de trouver des populations non exposées, à la différence, par exemple, d’une étude portant sur la cigarette/le tabac.

Pour le Pr Joel Moskovitz, de l’université de Berkeley (Etats-Unis) qui a analysé l’étude Mobi-kids, voici ce qu’il conclut :

« Mener ce type de recherche est une entreprise complexe et le risque d’échec est élevé. Bien que les auteurs aient fait des efforts notoires pour sauver leur étude en la confortant avec des sous-études supplémentaires et des analyses post-hoc, ils n’ont pas réussi à en surmonter les problèmes méthodologiques. Par conséquent, selon mon avis professionnel, les résultats semblent ininterprétables.«

 

Une pyramide inversée de cas

 

Autre interrogation autour de la méthodologie de l’étude Mobi-kids : le recrutement des cas porteurs de tumeurs et en particulier de type gliomes (671 cas). En effet, le nombre de malades recrutés, comme dans une pyramide inversée, diminue avec l’âge.

On compte ainsi, pour les sujets répartis en trois sous-groupes : 287 cas chez les 10-14 ans (soit 42,8 %), 217 cas chez les 15-19 ans (soit 32,3 %), et 167 cas pour les 20-24 ans (soit 24,9 %). Notons que les auteurs n’expliquent à aucun moment pourquoi il y a cet écart de 120 sujets entre les 10-14 ans (287 recrutés) et les 20-24 ans (qui étaient 167), et nous voyons là des questions de fond.

En outre, si ces données de base de l’étude sont comparées à certaines des dernières données disponibles de Santé publique France portant sur les glioblastomes (cancer grave du cerveau), on constate par analogie que, à ce stade du développement humain, les nombres de cas sont assez similaires pour les trois classes d’âge (tableau ci-dessous).

nombre de glioblastomes par ages et par année

Tableau et graphique de Santé publique France sur le nombre de glioblastomes par classe d’âge en 2018

Il est d’ailleurs notable que les auteurs de l’étude Mobi-kids ont totalement ignoré de faire référence aux dernières données en la matière de l’agence sanitaire française qui montrent pourtant une multiplication par quatre et plus en 30 ans du nombre de glioblastomes en France pour les deux sexes et dans toutes les classes d’âge.

 

Orange au centre de conflits d’intérêts inquiétants

 

Chacun des auteurs de cette étude assure qu’il ne présente aucun conflit d’intérêts financiers ou personnels qui auraient pu influencer les conclusions de l’étude Mobi-kids.

Malheureusement pour eux : nous sommes en mesure de prouver que tel n’est pas le cas. Les premiers éléments que nous présentons ci-dessous le confirment : monsieur Joe Wiart, un des auteurs de l’article, est ici dévoilé en flagrant délit de conflit d’intérêts !

 

Déclaration de conflits d’intérêts étude Mobi-kids

 

Entre 2010 et 2015, temps d’élaboration de l’étude Mobi-kids, Monsieur Wiart était chef de l’unité de recherche d’Orange Labs, division de recherche et développement du groupe Orange. Or, comme on peut le voir dans la liste ci-dessous, on retrouve cet expert de l’industrie judicieusement placé par le lobby de Orange à différents postes clefs (commissions, président du « Comité d’orientation de l’observatoire Ondes-Paris », …).

 

Joe Wiart ancien chef de l’unité de recherche d’Orange

 

Comme par hasard, monsieur Wiard est aussi l’un des intervenants principaux du volet Mobi-expo dans lequel figure une des organisations partenaires de l’étude, Whist Lab (France) – laboratoire commun entre Mines-Télécom et Orange Labs.

Dans l’article en date de juin 2014 (ici repris du site Mobi-kids) voici ce qu’on peut lire :

Le Dr Joe Wiart dirige la recherche sur l’évaluation de l’exposition aux radiofréquences, avec l’aide du Dr Conil et du Dr Varsier, en effectuant des mesures et des simulations du débit d’absorption spécifique (DAS). Le Dr Conil a également développé le logiciel de la boîte à outils d’exposition, XGridmaster, et celui des téléphones modifiés, Xmobisense.

Or, comme le montre son profil sur LinkedIn (voir ci-dessous), le dr Emmanuelle Conil – qui a eu à charge pas moins que les logiciels de la boîte à outils d’exposition de l’étude Mobi-kids – travaillait elle aussi à l’époque (2006-2014) pour Orange Labs.

 

 

CV Dr Emmanuelle Conil Orange Labs

 

Pour le Dr Marc Arazi, président de l’association et auteur de « Phonegate, tous surexposés, tous trompés, tous mis en danger » (Massot éditions) :

« Au vu de ces exemples le constat est clair autant qu’inquiétant : l’industrie – et en particulier l’opérateur Orange – a pris une part que nous jugeons préoccupante dans l’élaboration de l’étude Mobi-kids, et il devient difficile de croire que la santé publique est garantie par ce travail puisque la science ne l’est pas davantage que la déontologie. »

D’autres investigations sont en cours, et nous ne manquerons pas de les rendre publiques.

 

Sur le même sujet :

Mobi-Kids : notre résumé de l’étude