Le journaliste Suisse, Pascal Sigg a consacré en janvier 2024 deux articles très complet sur le scandale industriel et sanitaire du Phonegate. Ils ont été publiés en langue allemande sur le site Infosperber. Du fait de leur intérêt, nous les avons traduit en français et en anglais.
Pour les découvrir sur le site Infosperber :
Article publié le 18 janvier 2024
Les fabricants de téléphones portables ont sciemment effectué des tests de rayonnement irréalistes. Aujourd’hui encore, il n’existe pratiquement pas de contrôles indépendants.
Il y a quelques années seulement, les révélations du Phonegate ont montré que le rayonnement émis par les appareils mobiles n’était pas suffisamment contrôlé. A l’exception du Beobachter (Paywall), aucun média suisse n’a jusqu’à présent traité ce sujet de manière approfondie. L’intensité du rayonnement des appareils mobiles tels que les smartphones ou les tablettes sur le corps humain est mesurée par ce que l’on appelle la valeur SAR. Celle-ci détermine l’énergie absorbée à un endroit précis du corps en mesurant la température sur la peau.
Mais les valeurs limites sont controversées. Premièrement, parce que les fabricants ont leur mot à dire sur la manière dont les mesures sont effectuées. Deuxièmement, parce que les scientifiques partent du principe qu’une simple mesure de la température n’exclut pas que le rayonnement agisse sur le corps d’une autre manière – et déjà à une intensité plus faible.
Et troisièmement, parce que, comme en Suisse, il n’y a guère de contrôles indépendants pour vérifier si les appareils respectent les valeurs limites fixées.
L’autorité française publie des chiffres internes
En juillet 2016, l’agence française ANSES a publié un rapport d’experts (résumé en anglais) sur les risques sanitaires des rayonnements électromagnétiques pour les enfants. Le rapport mentionnait des mesures effectuées en 2015 par l’Agence nationale des fréquences et des rayonnements (ANFR), qui montreraient que près de 90 % des téléphones portables testés dépassent les limites de DAS fixées. Certains appareils émettaient même deux à trois fois trop de rayonnement.
Le médecin Marc Arazi a immédiatement exigé la publication des résultats détaillés des mesures de l’ANFR. Il travaillait avec une journaliste à la rédaction d’un livre sur les risques sanitaires des rayonnements électromagnétiques et comprenait les conclusions du rapport. Et celles-ci étaient bien plus explosives que ce que les premiers médias avaient laissé entendre. Le rapport remettait en effet en question la manière dont le rayonnement des terminaux mobiles était mesuré et classé.
Mais ce n’est qu’après un an de batailles juridiques et médiatiques que l’ANFR a publié une partie des résultats. Ils ont surpris, car des appareils populaires et utilisés en masse d’Apple, Sony ou Nokia dépassaient plusieurs fois les valeurs limites – et ce depuis 2012. Pourtant, ils ont été jugés conformes.
Des méthodes de mesure irréalistes – pendant des années
La raison : l’ANFR a mesuré l’intensité du rayonnement sur l’appareil lui-même. Les fabricants ont toutefois utilisé des distances allant jusqu’à 25 millimètres du corps. Comme le rayonnement diminue au carré avec l’augmentation de la distance par rapport à la source, ils pouvaient ainsi présenter des résultats de test dans lesquels les appareils respectaient les valeurs limites. Ce n’est qu’en 2017 que la distance a été uniformisée à 5 millimètres – un compromis. En d’autres termes : Si les appareils sont plaqués contre l’oreille ou portés dans la poche du pantalon, ils peuvent dépasser les valeurs limites à ces endroits.
En référence au scandale du Dieselgate concernant les mesures des émissions polluantes chez Volkswagen, Arazi a commencé à appeler cette révélation « Phonegate » (il décrit les événements dans son livre – en français ou en anglais). Il a fallu attendre avril 2018 pour que la France rappelle un premier téléphone en raison d’un rayonnement trop élevé.
En août 2018, l’initiative internationale d’Arazi « Phonegate Alert » a exigé le rappel mondial de plus de 250 modèles parce qu’ils présentaient des valeurs de test trop élevées. Mais l’ANFR a continué à s’opposer à la publication des rapports de test détaillés, bien que les fabricants les aient déjà reçus.
Les mesures américaines fournissent une confirmation
En août 2019, le Chicago Tribune a publié un article d’un journaliste d’investigation récompensé par le prix Pulitzer sur ses propres mesures, qui ont également révélé des niveaux de rayonnement beaucoup trop élevés. Après que des fabricants tels qu’Apple ont mis en doute les résultats, le journal en a rajouté, ce qui a fait taire les critiques.
A l’automne 2019, l’ANSES a publié un rapport détaillé sur les mesures de rayonnement des appareils et leurs risques pour les enfants, que l’autorité avait retenu pendant plus de deux
ans. Elle y recommandait que les mesures soient effectuées directement sur l’appareil et qu’aucune distance avec le corps ne soit prise en compte.
Le rapport cite également différentes publications de Niels Kuster, professeur émérite de l’EPFZ, qui a participé au développement des installations de mesure et les vend aujourd’hui dans le monde entier avec l’entreprise SPEAG.
Leader sur le marché international des mesures, SPEAG développe des outils et instruments numériques pour l’évaluation précise des champs électromagnétiques proches et lointains. Elle fournit des laboratoires de test, des fabricants et des gouvernements qui effectuent des tests indépendants sur les téléphones portables. Selon Niels Kuster, ces tests sont complexes et coûteux.
C’est pourquoi, en réalité, seul le premier appareil est entièrement mesuré pour l’homologation. Outre la France, l’Allemagne et la Finlande effectuent des tests isolés en Europe. Toutefois, la France est la seule autorité européenne à acheter un grand nombre d’appareils au hasard dans les magasins et à les tester ensuite dans son propre laboratoire et dans une maison d’essai externe.
Kuster déclare à Infosperber :
« Les autorités mesurent les téléphones portables parce que les changements de logiciels ou le remplacement de composants dans le processus de fabrication peuvent modifier sensiblement l’exposition ».
Les fabricants peuvent également adapter le logiciel des appareils à certains pays. Des téléphones portables du même modèle peuvent donc émettre des radiations différentes dans deux pays différents.
Mesures plus strictes en vue – en France
Aujourd’hui, Phonegate Alert attend toujours les rapports détaillés des mesures effectuées depuis 2012. Ils sont importants, car les autorités françaises auraient dû en principe informer les autres pays européens – dont la Suisse – que plus de 40 modèles de téléphones portables présentaient des taux de radiation beaucoup trop élevés. Et comme les fabricants sont encore autorisés à mesurer le rayonnement de leurs appareils à une distance d’au moins cinq millimètres du corps, selon le pays, l’ONG a développé un calculateur.
Celui-ci indique la valeur SAR effective de l’appareil correspondant. Pour l’instant, les utilisateurs doivent donc encore déterminer eux-mêmes si leur appareil respecte vraiment les valeurs limites. Et ils ne peuvent que l’estimer.
Cela pourrait toutefois changer. En effet, la France a demandé en 2020 à l’UE que les valeurs limites soient désormais respectées sans distance. Niels Kuster s’attend à ce que cette modification entre en vigueur cet été.
« Bien que l’industrie ne s’en réjouisse pas, car il sera plus difficile de produire des appareils conformes ».
Mais sans tests dans les pays concernés, il n’est pas certain que les appareils puissent respecter durablement les nouvelles normes. En effet, jusqu’à présent, seule la France a procédé à des tests systématiques.
Lire aussi : Rayonnement des appareils : le Conseil fédéral s’oppose au contrôle (Infosperber, 19 janvier 2024)