Alors qu’une étude épidémiologique sud-coréenne vient récemment de corréler l’incidence des tumeurs au cerveau et l’utilisation de téléphones portables, de nombreux plaignants, dans plusieurs régions du monde, dont une centaine aux États-Unis, réclament que la justice reconnaisse la responsabilité des industriels de la téléphonie mobile dans les tumeurs au cerveau les ayant touché eux ou un de leurs proches. Si la cour d’appel de Turin a rendu une décision favorable à une victime atteinte d’un neurinome de l’acoustique (tumeur bénigne) en novembre 2022, un jugement rendu le 21 avril 2023 aux États-Unis a rejeté une partie des réclamations à l’encontre du fabricant de smartphones Motorola. (Mise-à-jour le 6/09/2023) La décision est tombée le 1er août 2023 en faveur des industriels de la téléphonie mobile. Les plaignants ont fait appel le 22 août 2023.

La multinationale américaine est poursuivie par la famille de Frank Aaron Walker, décédé d’un cancer du cerveau fin décembre 2020 après avoir utilisé des téléphones de la marque à partir de 1995. Les plaignants affirment ainsi que le constructeur a caché aux consommateurs des informations quant à la nocivité des rayonnements émis par ses appareils, qui seraient par ailleurs non conformes aux normes de débit d’absorption spécifique (DAS) fixées par la Commission Fédérale des Communications (FCC).

À chaque scandale sanitaire, la justice met du temps à réagir

Le juge fédéral de Louisiane James D. Cain Jr, dans sa décision, a estimé que la plupart des réclamations déposées par la famille de Frank Aaron Walker était basée sur des « attaques générales » contre les certifications de la FCC et sur des « manipulations présumées des résultats des tests » menés par les fabricants de téléphones mobiles. Il a ainsi définitivement rejeté les accusations de défaut d’avertissement, de complot civil et de pratiques commerciales déloyales.

Le juge a également indiqué que, pour obtenir gain de cause concernant les autres réclamations, les plaignants devront démontrer comment Motorola a été à l’origine d’une malfaçon, ayant entraîné une émission d’ondes dépassant les taux fixés par la FCC par un ou plusieurs de ses appareils. Le scandale sanitaire du Phonegate n’échappe pas à la règle : comme à chaque fois, la justice met du temps à reconnaître la responsabilité et les manquements des industriels.

L’importance capitale de la conservation des éléments de preuve

La juridiction états-unienne a par ailleurs répondu aux accusations en ces termes :

« D’après la plainte, on ne sait pas comment les plaignants en sont venus à croire que les téléphones en cause dépassaient la norme DAS ou s’ils étaient même en possession de ces téléphones. »

Ces propos illustrent l’importance capitale dans la préservation des objets et documents pouvant constituer des éléments probants aux yeux de la justice : anciens téléphones, notices, relevés d’opérateurs… Pour notre ONG, les manquements des fabricants, en particulier les dépassements de DAS, ont été bien documentés. Rappelons qu’une enquête en 2019, menée par le journaliste et prix Pulitzer Sam Roe et publiée dans le Chicago Tribune, a révélé que les résultats des contrôles d’émissions de plusieurs téléphones mobiles – contrôles effectués dans un laboratoire accrédité par la FCC et dans des conditions similaires – dépassaient, et de loin, les niveaux réglementaires.

Cette investigation venant confirmer les centaines de dépassements de DAS mis au jour par notre association lors des contrôles de tests de DAS par l’Agence nationale des fréquences (ANFR) depuis 2012.

Des témoignages d’experts rejetés par un juge

Dans une autre affaire récente, connue sous le nom de Murray v. Motorola et concernant treize victimes, la Cour supérieure du district de Washington D.C. a estimé que la déposition de certains experts (Igor Belyaev, Michael Kundi, Abraham Liboff, Wilhelm Mosgöller, Dimitris Panagopoulos et Laura Plunkett) en faveur des plaignants n’était pas recevable, dans le sens où elle n’établissait pas de lien causal entre la maladie et l’usage des téléphones portables. Dans le même temps, le juge Irving a autorisé l’intervention de deux des experts de l’industrie, Meir Stampfer et John Laterra. Ce magistrat, qui a travaillé à ses débuts pour MCI Telecommunications (devenu Verizon en 2006) n’a pourtant pas estimé nécessaire de se déporter.

Ellen Marks, directrice de l’association «California Brain Tumor», a réagi à cette décision :

« J’apprécie grandement le travail du Dr Arazi, d’autres collègues de Phonegate, de Sam Roe et des avocats qui poursuivent actuellement Apple aux États-Unis, car leurs recherches ont prouvé que de nombreux téléphones vendus ne sont pas conformes aux limites d’exposition autorisées. En tant que plaignante dans l’affaire Murray v. Motorola, je suis très déçue de la décision du juge Irving de rejeter le témoignage d’experts choisis par les plaignants. Sa décision renforce l’idée fausse selon laquelle les téléphones portables sont sûrs et induit le public en erreur. De nombreux cancers mettent des décennies à se développer, ce qui pourrait être une catastrophe de santé publique. L’industrie des télécoms utilise les techniques historiques de l’industrie du tabac, mais c’est bien pire. Je ne veux pas que d’autres familles souffrent comme la mienne et tant d’autres. »

Des recours amenés à se multiplier

Aux États-Unis comme en Europe ou au Canada, les actions judiciaires se multiplient, à l’encontre des industriels de la téléphonie mobile. La Cour suprême américaine doit d’ailleurs prochainement se prononcer sur le recours collectif concernant les dépassements de DAS des iPhone de la marque Apple. Et le site spécialisé Microwave News indique par ailleurs, dans un récent article très documenté sur ces affaires, que 67 cas similaires sont encore en attente de jugement aux États-Unis.

Pour le Dr. Marc Arazi, auteur du livre Phonegate, et qui vient de publier la version anglaise pour faire connaître cet enjeu de santé publique en Amérique du nord :

« Aujourd’hui, aux États-Unis comme dans d’autres pays, les actions vont être amenées à se multiplier de la part des victimes, qui souhaitent réclamer justice. Nous mettons à la disposition de leurs avocats, les données les plus à jour sur ce scandale industriel et sanitaire. Nous avions d’ailleurs rencontré aux USA, en 2017 et 2018, les avocats Lundy & Lundy qui représentent la famille de Frank Aaron Walker. Aussi, si des personnes atteintes de tumeurs, des parentes de victimes ou leurs avocats veulent nous contacter pour que notre association les accompagne, nous sommes à leur écoute. »

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