Notre enquête sur les conflits d’intérêts des auteurs de l’étude Mobi-kids [qui analyse l’impact du téléphone sans fil sur le risque de tumeur du cerveau pour les jeunes] nous permet aujourd’hui de montrer que dix des dix-huit intervenants en charge de la mesure de l’exposition des malades travaillaient directement ou indirectement pour l’industrie de la téléphonie mobile.
Ce qui transparaît maintenant aussi au grand jour dans l’organisation de cette étude ce sont les conflits d’intérêts avérés avec les industriels de la téléphonie de ISGlobal, l’Institut de Santé globale de Barcelone (qui regroupe, selon leur site Internet, la Fondation bancaire « la Caixa », des institutions académiques ainsi que des organismes gouvernementaux) .
ISGlobal, la Caixa et les liens financiers avec l’industrie de la téléphonie mobile
En effet, le bât pourrait bien blesser car, si l’on en croit la fiche Wikipédia consacrée à « la Caixa », on découvre plusieurs liens financiers étroits avec des industriels de la téléphonie mobile comme Cellnex telecom ou Telefónica :
La Fondation bancaire La Caixa gère les participations du Groupe par l’intermédiaire de Criteria Caixa (anciennement Criteria CaixaHolding), une société d’instrumentation de capitaux propres entièrement contrôlée par la fondation. Les actions de Criteria Caixa comprennent celles détenues dans CaixaBank (au 31 décembre 2018 : 40,00 %)[19], ainsi que celles détenues dans plusieurs sociétés, dont Cellnex, Naturgy, Saba, Suez et Telefónica.
Ceci peut-il expliquer les choix d’ISGlobal et de sa coordinatrice de l’étude Mobi-kids, Elisabeth Cardis pour le moins hautement controversés d’experts présentant d’importants conflits d’intérêts ? A vous d’en juger !
Ainsi, dans un article publié en juin 2014 sur le site Internet dédié à l’étude Mobi-kids, ISGlobal présente l’équipe internationale en charge de la « mesure de l’exposition ». Ils sont dix-sept à faire partie de ce groupe de travail spécialisé placé sous la responsabilité du chercheur britannique Myrion Maslanyi.
Mobi-kids : cinq experts français d’Orange en plein conflits d’intérêts
L’équipe française est, elle, dirigée par monsieur Joe Wiart. Or, ce dernier travaille à l’époque directement pour l’opérateur de téléphonie mobile Orange. Il est le responsable d’Orange Labs. Pour autant et malgré l’évidence de conflits d’intérêts voici ce qui a été ajouté à la rubrique « conflits d’intérêts » le concernant :
« Avant 2015, J. Wiart était un employé d’Orange. À cette époque, son travail dans l’étude se limitait à la dosimétrie. En 2015, il est devenu Ingénieur Général des Mines, employé par l’Institut Mines-Télécom, un institut académique d’état. J Wiart n’a pas de conflit d’intérêt à déclarer. »
Vraiment, peut-on accepter cette affirmation visant à considérer que monsieur Joe Wiart n’a pas de conflit d’intérêt à déclarer ?
Pour y voir plus clair, il faut ajouter que son équipe se compose de quatre autres personnes travaillant, elles aussi, pour l’industriel Orange, soit : Emmanuelle Conil, Nadège Varsier, Abdelhamid Hadjem, mais aussi Thierry Sarrebrousse qui n’a pas été cité dans l’article ci-dessus (ce sera notre dix-huitième intervenant). Ce sont donc pas moins de cinq personnes payées par Orange qui ont contribué directement à l’étude. Mais les auteurs Mobi-kids n’y trouvent rien à redire ; ah bon !
Les trois experts coréens de l’étude Mobi-kids travaillent pour ETRI
L’équipe coréenne est placée sous la responsabilité de l’experte Ae Kyoung Lee. Le travail d’investigation d’Alerte Phonegate a permis de mettre en lumière les importants conflits d’intérêts non déclarés par cette auteure. Nous sommes maintenant en mesure de montrer que les deux autres intervenants de son équipe, Hyung Do Choi et Seon Eui Hong présentent les mêmes niveaux de conflits d’intérêts. En effet, eux aussi travaillent pour l’« Electronics and Telecommunications Research Institute (ETRI) ».
Ainsi, tel qu’il ressort des chiffres affichés par l’ETRI en 2014 – et rappelons que l’étude Mobi-kids s’est déroulée entre 2009 et 2016, les brevets déposés lui ont rapporté plus de 152,3 millions de dollars de royalties. Et ce n’est là qu’une infime partie des sommes liées à l’industrie de la téléphonie mobile.
Les conflits d’intérêts de l’expert japonais disparaissent…
Il en va de même pour l’expert en charge du volet japonais de l’étude, monsieur Masao Taki.
En effet, de toute évidence, monsieur Masao Taki devrait également figurer dans la rubrique des conflits d’intérêts. Il n’en était d’ailleurs pas fait mystère dans une précédente publication consacrée à l’étude Mobi-kids, parue dans la revue d’épidémiologie Frontiers in Public Health de septembre 2014 et signée par les mêmes auteurs. Voici ce qu’on pouvait y lire :
« Le département de Masao Taki a reçu une subvention pour soutenir les travaux de modélisation numérique dans le cadre d’un partenariat université-industrie. »
Ce conflit d’intérêt aurait donc tout bonnement disparu dans l’article publié fin 2021. Nous avons cependant trouvé l’explication, et ce serait encore l’industriel Orange (anciennement France Télécom) que l’on retrouve à la manœuvre au travers de sa filiale Whist Lab (laboratoire commun de l’institut Mines-Télécom et d’Orange).
La femme d’un des experts australiens possède des actions de sociétés de téléphonie
Le volet australien de l’étude a été confié à monsieur Malcolm Sim. Une rapide recherche de notre part, a montré que lors de la publication d’un article dans Frontiers in Public Health (de septembre 2014) concernant l’étude Mobi-kids, monsieur Sim a dû déclarer un conflit d’intérêts concernant des actions de firmes de l’industrie de la téléphonie mobile détenues par sa femme. Or il n’en est plus fait état aujourd’hui !
Par ailleurs, Sim était secondé dans sa tâche par un autre auteur, à savoir l’expert Geza Benke, et le moins que l’on puisse dire de son travail sur le sujet, c’est qu’il est particulièrement proche de celui de l’ICNIRP. En outre, si Benke n’est pas (à notre connaissance) un des membres de cette organisation, en revanche, il a participé directement à plusieurs articles avec des membres de l’ICNIRP – comme récemment avec son président, l’australien Rodney Croft.
À ce stade, nos recherches sont toujours en cours concernant les experts britanniques Carolina Calderon, Terry Mee et Darren Addison. Pour autant, ni l’experte Ae Kyoung Lee ni ses collaborateurs, ni Masao Taki, ni Malcolm Sim n’apparaissent à ce jour dans la rubrique « conflits d’intérêts ». Et monsieur Adrian Covaci, co-éditeur en chef de la revue Environment International (groupe Elsevier) n’est toujours pas intervenu pour mettre un avertissement ou mieux retirer l’article.
Pour finir : le volet néerlandais a été confié à monsieur Hans Kromhout, lequel a été secondé sur ce volet par Roel Vermeulen et Geertte Goedhart-Wolf. Là aussi, nos recherches sur de possibles conflits d’intérêts sont toujours en cours.
L’expert néerlandais méconnait les nombreux conflits d’intérêts
Toutefois dans une récente interview donnée par Roel Vermeulen, ce dernier déclare à la journaliste du site BN DeStem :
« …Les critiques disent que les entreprises de télécommunications financent ce type de recherche. Ils s’interrogent sur les résultats de ce type de recherche, compte tenu également des importants intérêts financiers en jeu… ».
Vermeulen, qui conteste le rôle joué par les industriels, semble méconnaître les nombreux conflits d’intérêts qui minent le cœur stratégique de l’étude Mobi-kids – même si notre travail d’investigation a pourtant montré que dix intervenants sur dix-huit posent problèmes, soit donc déjà près des deux-tiers.
Une analyse de 2012 intitulée « Comment les conflits d’intérêts peuvent influencer la recherche et l’expertise » détaille les stratégies mises en place par les industriels :
« Dans toute expérimentation, du domaine biomédical comme des autres domaines, la conception de l’étude influence les résultats. »
Pour le Dr Marc Arazi qui préside l’ONG Alerte Phonegate :
« Il ne fait plus aucun doute maintenant que les industriels de la téléphonie mobile ont noyauté une étude menée par ISGlobal et financée majoritairement par des fonds publics de la Commission européenne. Reste à savoir maintenant quel est le degré d’implication de la cinquantaine d’auteurs scientifiques. Ont-ils juste fermé les yeux sur ces pratiques ou, pire, ont-ils permis de fausser volontairement les résultats de cette étude ? »
Pour en savoir plus sur l’intégralité de notre enquête :